Et maintenant ? Sauf énorme surprise, la censure sera votée ce mercredi, suite au recours au 49.3 sur le budget de la Sécu. Le gouvernement Barnier va tomber. Si tout le monde se projette dans l’après, bien heureux celui qui a la solution. Emmanuel Macron est certes le seul à nommer le premier ministre, mais l’équation dépend de multiples facteurs. « C’est le bordel », lâche un sénateur.
« Situation de blocage et de confusion depuis la dissolution »
Au sein de la droite sénatoriale, qui s’est retrouvée à soutenir le gouvernement, on assure ne pas regretter de s’être lancé dans ce qui ressemble plus à une galère qu’à une partie de plaisir. « Ça a été un vrai débat. Car on ne veut pas porter la responsabilité de 7 ans de politique que nous avons combattue. En même temps, quand le pays est dans l’état dans lequel il est, que la dette est ce qu’elle est, est-ce qu’on peut dire non, on ne veut pas mettre les mains dans le cambouis ? » demande Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine. « Bien sûr que les LR ont bien fait. Il ne fallait surtout pas nous défiler », ajoute le sénateur LR Jacques Grosperrin, avant la réunion de groupe hebdomadaire.
La partie n’était-elle pas injouable depuis le départ, en réalité, pour Michel Barnier ? « Si on dit que c’était la chronique d’un échec annoncé, ça voudrait dire que vu la composition de l’Assemblée, aucun gouvernement ne pourra agir », avance Roger Karoutchi, qui regrette l’attitude des certains. « A un moment, il faut se demander si les groupes ne jouent pas uniquement 2027 et oublient un peu tous l’intérêt du pays », regrette l’ancien ministre, qui en veut au chef de l’Etat : « On est dans une situation de blocage et de confusion depuis la dissolution, dont le Président porte lui seul la responsabilité ».
« Ce qui nous amène à la situation d’aujourd’hui, c’est le choix de dissoudre l’Assemblée », pointe aussi Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat. Il est concerné au premier chef par la censure car le Sénat est en plein examen du budget. Son examen s’arrêtera « illico » mercredi soir, quand le gouvernement tombera, prévient le rapporteur. Il faudra alors « une loi spéciale, pour adopter les recettes et ne pas mettre le pays à l’arrêt. C’est inédit sous la Ve République ».
« Gérard Larcher serait à mon avis celui qui rassemblerait le plus facilement. Mais est ce que lui-même le souhaite ? » demande Roger Karoutchi (LR)
Mais pour cela, il faudra un premier ministre et des ministres. Un ancien ministre Renaissance, qui anticipait la semaine dernière la censure, imaginait deux scénarios : « L’alternative aujourd’hui, c’est soit un Barnier de droite, le même ou un autre, soit un Barnier de gauche ».
Chez les LR, on préfère évidemment la première solution. Avec des noms qui commencent à circuler. Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu ? Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau ? Ou le président du Sénat, Gérard Larcher ? « Gérard Larcher serait à mon avis celui qui rassemblerait le plus facilement. Mais est ce que lui-même le souhaite ? Peut-être pas, surtout dans les conditions actuelles. Est-ce que c’est la pensée du Président ? Je n’en sais rien », répond Roger Karoutchi, qui ajoute : « Mais il y a d’autres noms qui circulent, François Baroin, et d’autres ». Le maire de Troyes ? « Le nom de François Baroin recircule. C’est un homme de consensus, qui a des liens avec les syndicats, les partis politiques », avance le sénateur des Hauts-de-Seine, « mais ça ne suffit pas ». Regardez (images de Fabien Recker) :
Patrick Kanner : « Nous sommes à la disposition du président de la République, pour dire, nous sommes là, nous sommes prêts »
A gauche, on pointe déjà « l’échec d’une méthode. Michel Barnier a voulu négocier de façon exclusive avec le RN. […] Il ne nous a rien donné dans les négociations budgétaires », regrette Patrick Kanner, à la tête du groupe PS du Sénat.
Pour la suite, les socialistes semblent opérer un mouvement. Le changement, c’est maintenant ? Un communiqué du parti et des deux groupes parlementaires demande un « premier ministre partageant les valeurs de la gauche et s’engageant sur les chantiers prioritaires du Nouveau Front Populaire ».
Patrick Kanner met sur la table cette offre de service. « Nous assumons le fait de poser une motion et de la voter. Mais nous voulons, en même temps, gouverner. Nous sommes à la disposition du président de la République, pour dire, nous sommes là, nous sommes prêts », lâche Patrick Kanner (voir la première vidéo), qui précise que « le communiqué dit un homme ou une femme issue de la gauche. C’est plus large que ce que nous avions imaginé au départ, avec Lucie Castet, au nom du NFP. Il faut élargir aujourd’hui les voies du rassemblement. Et à la différence de LFI, nous ne demandons pas la démission d’Emmanuel Macron ». On sait le sénateur PS du Nord opposé à LFI depuis longtemps. « Le problème n’est pas de savoir si nous devons servir les intérêts de Monsieur Mélenchon, mais si nous devons servir les intérêts de la France », lance l’ancien ministre de François Hollande, pour qui « un gouvernement qui tombe tous les deux ou trois mois, comme sous la IVe République, ce n’est pas acceptable. Nous sommes la gauche de responsabilité ».
Eric Kerrouche, sénateur PS des Landes, développe cette proposition, où le 49.3 serait rangé dans son armoire et où les LR, s’ils ne participaient pas, s’engageraient à ne pas censurer. « On dit qu’à un moment donné, il faut que certaines volontés s’agrègent, que le 49.3 n’est plus opérationnel. Le dégainer dans une Assemblée avec trois blocs ne sert à rien. La perspective, autour de notre projet, est la seule perspective viable », avance Eric Kerrouche, qui précise : « Il ne s’agit pas de dire « rien que le programme du NFP », mais ce serait autour de quelques points. Il nous appartient de construire, texte par texte, des majorités ».
« Chronique d’un échec annoncé »
Pour l’écologiste Ronan Dantec, la fin du gouvernement Barnier, « c’est la chronique d’un échec annoncé, à partir du moment où le Président n’a pas respecté le suffrage universel et le résultat des législatives. Car il y avait un gagnant, c’est le front républicain », avance le sénateur écologiste de Loire-Atlantique, qui fait partie des modérés chez les écolos. « Notre responsabilité collective, c’est de trouver l’équilibre de ce front républicain », soutient-il. Et ce ne peut être un premier ministre à nouveau de droite, qui aboutirait au même échec, selon l’écologiste, qui ajoute :
Peut-on imaginer, comme l’évoque un député Renaissance, « un Barnier de gauche, qui bénéficierait de la bienveillance des députés Renaissance et que les LR ne censureraient pas » ? Outre Bernard Cazeneuve, des noms commencent à circuler aussi à gauche, ou plutôt à recirculer, comme Laurence Tubiana ou Laurent Berger, l’ancien numéro 1 de la CFDT. Reste que pour l’heure, le chef de l’Etat ne verrait pas la solution de ce côté de l’échiquier politique, selon BFMTV, citant l’entourage d’Emmanuel Macron.
« Cette politique doit se mener aussi au centre, mais il y a des gens à gauche avec qui on peut travailler, et à droite », avance le centriste Hervé Marseille
Du côté des centristes, on entend, comme souvent, jouer une position d’équilibre. Hervé Marseille, à la tête du groupe Union centriste du Sénat et membre du socle commun, ne ferme pas, pour sa part, la porte à la gauche. « Avant de citer des noms, il faut avant tout définir la méthode. Vous avez trois groupes politiques, trois blocs, aujourd’hui à l’Assemblée : un important groupe de gauche, un important groupe de droite et le bloc central. Ces groupes ne peuvent pas travailler entre eux. Il y a une incompatibilité. En revanche, il faut un dialogue et une plateforme. Car derrière tout ça, il y a la France à faire tourner », avance le sénateur centriste.
Plutôt que « de la politicaillerie pour les ambitions des uns et des autres », celui qui préside aussi l’UDI soutient qu’« il va falloir trouver une plateforme d’action, comme disent les socialistes, de non censurabilité, pour essayer de trouver un accord qui permette à ce pays de trouver un gouvernement qui fonctionne jusqu’à l’été prochain, car c’est le moment à partir duquel le Président pourra à nouveau prononcer une dissolution. D’ici là, il faut que les hommes et les femmes de bonne volonté essaient de trouver des solutions ». Regardez :
Pour le centriste, « cette politique doit se mener aussi au centre, mais il y a des gens à gauche avec qui on peut travailler, et à droite. Mais le groupe de Marine Le Pen représente 11 millions d’électeurs. Ce n’est pas anormal qu’ils soient écoutés et même entendus sur un certain nombre de propositions ». Il insiste au passage sur « le PS, un grand parti de gouvernement – il l’a montré par le passé – qui ne doit pas rester dans le giron de LFI ».
Hervé Marseille écarte en revanche l’idée d’un gouvernement technique. « Le moment n’a jamais été autant politique. Je ne vois pas comment on peut faire de la politique avec des techniciens. D’ailleurs, je ne sais pas ce que c’est, un technicien », lance le sénateur UDI des Hauts-de-Seine.
« Il est toujours temps de saisir cette main tendue du PS » selon Jean-Marie Vanlerenberghe (Modem)
Même son de cloche du côté du Modem, avec le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, membre du groupe UC. « On est dans une situation de blocage », affirme aussi le sénateur du Pas-de-Calais, qui « pense que le gouvernement Barnier n’a pas suffisamment traité le PS », notamment sur le budget de la Sécu.
« J’ai compris qu’il y avait une tentative de la part de certains élus PS pour essayer de débloquer la situation », continue le sénateur Modem, « donc il est toujours temps de saisir cette main tendue ». Il défend l’idée d’un gouvernement qui serait « un rassemblement d’homme d’Etat responsables, capables de se mettre autour d’une table, et de s’entendre sur les mesures indispensables, préserver le pouvoir d’achat tout en rétablissant les équilibres financiers ».
Ce proche de François Bayrou avance même quelques noms de « personnalités responsables » à ses yeux : « Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau, François Bayrou, Thierry Breton, Jean Castex, Gabriel Attal, Elisabeth Borne, Thierry Breton. Il ne doit pas y avoir d’oukase ». Avec François Bayrou à Matignon ? « Pourquoi pas, bien sûr. Il a des qualités. Mais pourquoi pas Hervé Marseille. Il a des qualités de négociateur et de rassembleur. Avec l’humour en plus », avance Jean-Marie Vanlerenberghe. Des petites blagues en Conseil des ministres, il est vrai que ça pourrait détendre l’atmosphère.