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Censure du gouvernement Barnier : et maintenant, que va-t-il se passer pour le budget 2025 ?

Un grand saut dans l’inconnu. Voilà ce à quoi devraient ressembler les prochaines semaines alors que l’Assemblée nationale s’apprête à censurer mercredi soir, sauf retournement de situation, le gouvernement de Michel Barnier qui a fait le choix d’activer l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour faire passer le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Jamais dans l’histoire de la Cinquième République un gouvernement n’est tombé après avoir engagé sa responsabilité. Seul précédent : le gouvernement de Georges Pompidou, renversé en octobre 1962 mais après le dépôt motion de censure spontanée. La situation est donc totalement inédite. Surtout, elle intervient alors que le Sénat est plongé dans l’examen du budget général de l’Etat, le projet de loi de finances (PLF) devant être adopté au plus tard le 31 décembre.

La chute attendue du gouvernement Barnier laisse donc planer de nombreuses incertitudes sur le devenir du prochain budget. Si d’un point de vue formel la censure que s’apprêtent à voter les groupes de gauche et le Rassemblement national aboutira au rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, sans rendre caducs les autres textes actuellement examinés par le Parlement, le PLF devrait être largement touché par cette déflagration institutionnelle et politique. Dans les couloirs du Sénat, on se prépare déjà à stopper les débats, centrés depuis le début de semaine sur le volet « dépenses », c’est-à-dire les crédits accordés aux différentes missions budgétaires de l’Etat.

« La suspension des travaux sera actée le jour même de l’adoption éventuelle de la motion de censure », nous expliquent les services du Palais du Luxembourg. Une conférence des Présidents se réunira ultérieurement pour statuer sur les suites de l’examen. En effet, un gouvernement censuré est considéré comme démissionnaire et ses ministres cantonnés à « l’expédition des affaires courantes » selon la formule consacrée. Ils ne peuvent plus être présents aux bancs pour participer aux débats en séance, or la présence du gouvernement dans l’hémicycle est obligatoire pour pouvoir légiférer. « Rien en revanche n’empêchera le gouvernement suivant de reprendre l’examen du texte là où les discussions se sont arrêtées ou de présenter un nouveau projet de loi », explique Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse 1.

La marge de manœuvre du gouvernement démissionnaire

Encore faudra-t-il qu’Emmanuel Macron soit en mesure de nommer rapidement un nouveau Premier ministre. On se souvient qu’un délai de pratiquement deux mois s’était écoulé entre le second tour des législatives anticipées et la nomination de Michel Barnier le 5 septembre. Le gouvernement démissionnaire pourrait donc être amené à rester en place plusieurs semaines.

« Bien que démissionnaire à la suite de la motion de censure adoptée, le gouvernement peut très bien continuer de défendre son projet de budget au nom de la continuité de la vie nationale », nous assure Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Ce conseiller d’Etat honoraire est l’auteur avec Jean-Pierre Camby, docteur en droit, d’un long article publié le 2 décembre sur le site Actu-Juridique.fr où ils explorent les différentes options budgétaires qui s’offrent à l’exécutif en cas de censure. « Il me semble inconcevable que les ministres démissionnaires ne puissent plus siéger pour l’examen d’un projet de loi de finances qui serait indispensable à la continuité de la vie nationale », soutient Jean-Éric Schoettl auprès de Public Sénat. Un point qui fait néanmoins débat chez les constitutionnalistes que nous avons interrogés.

Politiquement, on imagine bien que ce scenario soulèverait l’ire des députés qui ont voté la censure. En outre, le gouvernement ayant déjà été renversé, il n’aurait plus la capacité d’engager sa responsabilité pour un passage en force et empêcher le rejet, plus que probable, de son texte. En revanche, si les débats se prolongent au-delà des 70 jours que la Constitution donne au Parlement pour examiner le budget – soit le 21 décembre à minuit cette année -, alors l’exécutif peut très bien décider de faire appliquer les dispositions de son projet de finances par voie d’ordonnances, comme le prévoit l’article 47 de la Constitution. Mais un gouvernement démissionnaire peut-il aller jusque-là ? Une note du Secrétariat général du gouvernement (SGG) datée du 2 juillet, sur l’expédition des affaires courantes, laisse entendre que oui. « Mais cette note est très imprécise », épingle Mathieu Carpentier.

Du côté du Conseil constitutionnel, pour l’heure, on préfère botter en touche plutôt que de se risquer à commenter les scenarii possibles. Face à la situation inédite, « il y a assurément des questions que le Conseil pourrait avoir nouvellement à trancher », justifie un haut fonctionnaire.

Une loi spéciale pour parer à l’urgence

La notion de « continuité de la vie nationale » a été introduite par la Conseil constitutionnelle en 1979, là aussi pour faire face à une situation inédite. L’invalidation par les sages du projet de loi de finances pour 1980, le 24 décembre, oblige le gouvernement à improviser alors que les textes constitutionnels ne prévoient aucun plan B. La solution imaginée : le dépôt en urgence d’un projet de loi spécial pour reconduire la perception des recettes et les dépenses indispensables au maintien des services publics, le temps que soit adopté un nouveau PLF. Les sages de la rue Montpensier ont validé cette procédure, estimant « qu’il appartenait, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ».

« En l’absence de cadre juridique, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur cette notion pour bénir en quelque sorte la loi transitoire qui avait été votée », explique Jean-Éric Schoettl. En clair, le principe de nécessité s’est imposé sur le vide procédural.

Mais depuis cet épisode, le cadre constitutionnel a évolué, et l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) permet désormais à un gouvernement, même démissionnaire, de déposer en bonne et due forme devant l’Assemblée nationale un projet de loi spécial pour permettre au pays de continuer à fonctionner si le débat budgétaire n’a pas abouti.

« Dans la situation que nous vivons, il y a une confusion entre l’importance politique d’un budget et la notion d’urgence », pointe Mathieu Carpentier. « Il n’y a que deux éléments qui sont véritablement urgents pour la continuité de la vie nationale dans un projet de loi de finances, c’est l’autorisation de percevoir les impôts et la possibilité pour l’administration de continuer à payer les fonctionnaires. Or, ces deux éléments sont précisément pris en compte par le projet de loi spécial prévu à l’article 45 de la LOLF. » Dans ces conditions, cet universitaire voit mal quelle autre « urgence » autoriserait les ministres d’un gouvernement démissionnaire à siéger pour poursuivre l’examen du budget.

Le retour au douzième provisoire

Si jamais cette loi spéciale venait à être rejetée par le Parlement – hypothèse hautement improbable dans la mesure où les oppositions se sont rattachées à ce scénario pour justifier le rejet du budget – d’aucuns évoquent le déclenchement de l’article 16 de la Constitution. Il permet au président de la République d’exercer à la fois les pouvoirs exécutifs et législatifs « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. »

« Ce serait hors normes. Cet article a été conçu pour faire face à une situation insurrectionnelle ou une guerre, certainement pas pour affronter une paralysie budgétaire », oppose Jean-Éric Schoettl. « Par ailleurs, l’Elysée n’est aussi bien outillé que Bercy dans ce domaine. »

Ce constitutionnaliste évoque encore un dernier mécanisme, largement utilisé sous la IIIe République, « le douzième provisoire ». Il consiste à découper le budget en douze tranches, avec un vote chaque mois sur les crédits nécessaires à un fonctionnement minimal de l’Etat, dans les conditions de l’année précédente. Bref, un retour de plus de 80 ans en arrière.

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