La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a décidé de montrer les muscles dans le bras de fer commercial qui l’oppose aux Etats-Unis sur les droits de douane. En réponse au décret du président américain imposant des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier, d’aluminium et de produits dérivés, la Commission européenne a présenté une liste de produits sur lesquels des droits de douane seront appliqués afin d’entrer sur le marché européen. Une liste de 99 pages qui cible des produits extrêmement symboliques comme le bourbon, les Harley Davidson ou encore les chewing-gums.
Ces nouvelles taxes répondent de manière « ferme et proportionnée » aux mesures américaines estime la présidente de la Commission européenne. La première salve entrera en vigueur le 1er avril, tandis qu’une deuxième série est prévue pour la mi-avril. Pour rappel, la Commission européenne dispose d’une compétence exclusive en matière de politique commerciale. Par conséquent, les mesures entreront prochainement en vigueur sauf opposition explicite des États membres à la majorité qualifiée.
Une riposte peu appréciée par l’impétueux président des Etats-Unis. Alors que Donald Trump estime que l’Union européenne a « été créée dans le seul but de profiter des Etats-Unis », ce dernier menace désormais les Européens d’appliquer des tarifs douaniers de 200 % sur les vins et spiritueux.
Trump menace les Européens de droits de douane de 200 % sur les vins et spiritueux
« L’Union européenne, […] a tout juste imposé 50 % de droits de douane sur le whisky. Si ces droits de douane ne sont pas retirés immédiatement, les Etats-Unis vont rapidement imposer des droits de douane de 200 % sur tous les vins, champagnes et produits alcoolisés venant de France et d’autres pays de l’UE », écrit le président américain sur son réseau Truth social. Un secteur clé pour les pays européens.
« Sur les spiritueux, les pays européens sont exportateurs donc oui une augmentation de 200 % des droits de douane sur les vins et spiritueux aurait un effet sur les producteurs », affirme Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France et enseignante en économie à l’université Paris I Panthéon Sorbonne. La France et l’Italie, deux principaux producteurs de vins mondiaux pourraient être particulièrement touchés. En 2023, les Etats-Unis étaient le premier importateur de champagne et le troisième importateur mondial de vin avec des échanges estimés à 6,2 milliards d’euros selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin. Dans un article du 6 mars, Le Monde estime à 3,8 milliards d’euros le chiffre d’affaires généré par l’exportation de vins et spiritueux français vers les Etats-Unis.
« Donald Trump cherche à désolidariser les pays de l’Union européenne pour inverser le rapport de force. En ciblant le vin, il cherche à toucher la France et créer des divergences au sein de l’Union », pointe Stéphanie Villers, conseillère économique chez PwC. « Donald Trump cherche à fragmenter l’Union européenne, c’est pour cela que la réponse européenne doit être extrêmement ferme », abonde Elvire Fabry, chercheuse senior en Géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors. Les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium concernent davantage les Pays-Bas et l’Allemagne, principaux exportateurs européens vers les Etats-Unis.
Les droits de douane ciblés, une mesure efficace ?
Malgré cela, les pays européens semblent déterminés à maintenir leur réplique. Le ministre du commerce extérieur, Laurent Saint-Martin assure que la France « reste déterminée à riposter » après les menaces sur les vins et spiritueux. « Les droits de douane sont utilisés comme un instrument de sanction et de négociation. Dans ce contexte, une réponse ferme de l’Union européenne est nécessaire, ne rien faire ne semble pas être une bonne décision pour les négociations », explique Vincent Vicard, responsable du programme scientifique Analyse du commerce international au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Néanmoins, ces droits de douane devraient avoir un impact financier important sur les consommateurs de chaque côté de l’Atlantique. « Il va y avoir des impacts pour les consommateurs des produits concernés, sauf à ce que les entreprises américaines absorbent les coûts supplémentaires dans leurs marges. La question sera de savoir si on peut se passer facilement des produits américains », continue Vincent Vicard.
Même si la mise en place de droits de douane est perçue comme une « source d’incertitude pour l’économie » selon Ursula von der Leyen, l’Union européenne poursuit également un objectif politique. En effet, les tarifs douaniers visent spécifiquement des produits issus d’États républicains comme le bourbon du Kentucky sur lequel les droits de douane doivent augmenter de 50 %. Ainsi, la Commission européenne cherche à faire pression sur les électeurs américains, à moins de deux ans des élections de mi-mandat. « C’est très difficile de juger de l’efficacité de l’augmentation des droits de douane sur les électeurs. Il y a un impact sur les entreprises et donc l’emploi, mais pas forcément sur le gouvernement américain qui peut assumer les effets économiques de ce bras de fer commercial », détaille Vincent Vicard.
Un bras de fer pour atténuer les barrières non tarifaires ?
Malgré le caractère erratique du président des Etats-Unis, la guerre commerciale pourrait se prolonger avec l’Union européenne. Si Donald Trump assure vouloir agir sur le déficit commercial des Etats-Unis et inciter les entreprises à relocaliser en instaurant des droits de douane, il s’agit également d’un levier de négociation, comme dans le cas du Canada et du Mexique où les droits de douane ont été utilisés pour infléchir la politique migratoire de ses voisins. Pour rappel, dans leurs relations avec l’Union européenne, les Etats-Unis affichaient, en 2023, un déficit commercial de 156 milliards d’euros pour les biens et un excédent commercial de 104 milliards sur les services.
« Donald Trump poursuit un objectif qui n’est pas simplement le rééquilibrage de la balance commerciale, il cherche aussi à découdre les réglementations européennes. Notamment le DMA, le DSA, ou la réglementation verte que Donald Trump considère comme des barrières non tarifaires », analyse Elvire Fabry. « Il voit à travers l’UE une machine de réglementation, idéologiquement Donald Trump prône la déréglementation », continue la chercheuse. Le DMA et le DSA encadrent les services numériques sur le marché européen, des législations perçues comme des obstacles pour les entreprises américaines.
« Les mesures anti-coercition peuvent aussi toucher les services, là où les Etats-Unis ont une balance positive vis-à-vis des Européens »
Après les dernières menaces de Donald Trump, la présidente de la Commission européenne à rappeler que les Européens restaient « ouverts aux négociations ». En cas d’escalade, l’Union européenne pourrait également mobiliser des mesures non tarifaires et utiliser, pour la première fois, des mesures prévues par le règlement relatif à la protection de l’Union et de ses États membres contre la coercition économique. « Les mesures anti-coercition peuvent aussi toucher les services, là où les Etats-Unis ont une balance positive vis-à-vis des Européens. Ces mesures peuvent permettre de restreindre l’accès aux appels d’offres européens, suspendre la propriété intellectuelle de certains logiciels. L’idée sera néanmoins d’impacter le moins possible les consommateurs européens », envisage Elvire Fabry.