Les relations entre la France et l’Algérie continuent de se dégrader. Après l’expulsion de l’influenceur algérien Doualemn – 138 000 abonnés sur TikTok – par les autorités françaises et son embarquement vers l’Algérie, ce jeudi 9 janvier, l’homme a finalement fait demi-tour. Les autorités algériennes ont refusé son entrée sur le territoire.
Tout commence le mardi 31 décembre. Doualemn publie une vidéo sur TikTok dans laquelle il demande aux Algériens de « donner une sévère correction » à un homme semblant résider en Algérie. Elle est signalée par Chawki Benzehra, un militant algérien réfugié en France et lanceur d’alerte contre les discours de haine.
Alger interdit l’influenceur de son territoire
L’affaire prend une autre dimension quand le maire de Montpellier, Michael Delafosse, s’en saisit. L’élu socialiste effectue un signalement judiciaire le samedi 4 janvier. La préfecture de l’Hérault emboîte le pas. Le mardi 7 janvier, elle annonce le retrait de son titre de séjour à la suite de ses propos sur les réseaux sociaux. « Les provocations publiques à commettre un crime ou un délit et légitimant la torture constituent des menaces graves à l’ordre public », écrit le service de l’Etat sur X (ex-Twitter). L’homme déjà condamné à plusieurs peines de prison est ensuite interpellé et placé dans le centre de rétention administrative (CRA) de Nîmes en vue de son éloignement.
Une comparution immédiate était prévue le 24 février, mais Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, en décide autrement. Il signe un arrêté d’expulsion pour accélérer la procédure. Les autorités françaises l’embarquent dans l’avion direction l’Algérie en fin d’après-midi. Une fois sur place, le pays refuse de le débarquer. Alger a pris une mesure de bannissement le concernant, inscrite dans une loi exceptionnelle de 2008, prévoyant l’interdiction du territoire de tout ressortissant susceptible de représenter une menace, notamment terroriste. « On ne sait pas si cette éventuelle interdiction de territoire a été prise dans l’heure qui a précédé l’atterrissage de l’avion, ni même si elle a été effectivement prise par les autorités algériennes », précise Beauvau au Figaro.
Les autorités françaises sont ensuite obligées de reprendre un vol pour Roissy en compagnie de l’influenceur. Le droit international empêche de laisser un individu sur le tarmac de l’aéroport si les autorités du pays refusent de le laisser entrer. Retour à la case départ. L’homme de 59 ans était de nouveau dans l’hexagone dans la soirée, ce jeudi 9 janvier, et a été placé dans le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne).
« Ça rappelle la Russie stalinienne »
En réaction à cet événement, Bruno Retailleau assure que « l’Algérie cherche à humilier la France ». En déplacement à Nantes ce vendredi 10 janvier, l’ancien patron des sénateurs LR indique que « les autorités algériennes n’ont pas voulu laisser débarquer Doualemn en contradiction avec les règles de la convention de Chicago de 1948, qui indique que les pays sont comptables de leurs propres ressortissants ».
Pour expulser l’influenceur, les autorités françaises n’avaient pas besoin de laissez-passer consulaire, car il possède seulement la nationalité algérienne. Le ministre de l’Intérieur rappelle donc « qu’avec le protocole de 1993 entre l’Algérie et la France, seul un passeport biométrique suffit en termes de réadmission ». Et de dénoncer le refus de l’Algérie « sans motif, ni aucune preuve ».
Didier Leschi, le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) confirme : « Ce qui vient de se passer va théoriquement à l’encontre de toutes les règles internationales dès lors que la personne a un passeport à jour et qu’il s’agit de retourner dans le pays dont il a la nationalité ». Pour le haut fonctionnaire, « ça rappelle la Russie stalinienne qui empêchait ses citoyens, soit de sortir, soit de rentrer ».
Ses avocats vont déposer un référé liberté
Que va-t-il se passer maintenant pour le principal concerné ? « Très classiquement, ses avocats vont déposer un référé liberté et peut-être un référé suspension devant le tribunal administratif », indique Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et chercheur affilié à l’Institut Convergences Migrations. D’ici quelques jours, un magistrat devra aussi statuer sur son cas. Il peut prononcer une prolongation en rétention ou une remise en liberté ou encore une assignation à résidence. Ensuite Doualemn sera jugé – comme programmé initialement – le 24 février prochain pour « provocation à commettre un crime ». « Le juge administratif mettra en balance les faits reprochés et les attaches familiales », explique Serge Slama.
Lors d’une conférence de presse, ce vendredi 10 janvier, ses deux avocats ont d’ailleurs insisté sur le fait qu’il était père de deux enfants de nationalité française. « Il est avant tout un père de famille, un grand-père, mais surtout quelqu’un à qui la France a donné sa chance et qui a saisi cette chance », déclare son avocate, Emilie Brum. Son autre avocat, Jean-Baptiste Mousset, déplore lui que « la publication diffusée par notre client a été détournée de son sens initial ». Publiée en langue arabe, elle aurait fait l’objet d’une mauvaise traduction.
Plusieurs autres cas similaires
D’autres influenceurs algériens ou franco-algériens sont concernés pour des faits similaires. A l’image de Sofia Benlemmane – suivie par plus de 300 000 personnes sur TikTok et Facebook –, placée en garde à vue jeudi 9 janvier. Elle aurait diffusé des messages de haine et des menaces contre tous ceux susceptibles de s’opposer au régime algérien, ainsi que des déclarations insultantes envers la France. Ou encore celui qui se fait appeler « Abdesslam Bazooka » sur TikTok. Dans une vidéo publiée mi-décembre, il a qualifié de « traîtres » les opposants au gouvernement algérien et a menacé de les « égorger ».