C’est l’heure de rendre les copies. En recevant jeudi l’ensemble des formations politiques, hors LFI et RN, François Bayrou a non seulement proposé aux responsables des partis d’entrer au gouvernement, il a aussi demandé à chacun de se positionner. Avec trois choix : ceux qui souhaitent intégrer l’exécutif, ceux qui n’y entreront pas mais ne le censureront pas, et enfin ceux qui seront dans l’opposition.
Le chef du gouvernement avait donné comme limite midi pour donner une réponse. Du moins sur le papier. Pour la gauche, la rencontre de Matignon jeudi n’a fait que confirmer le (très) mauvais sentiment général. A part une ouverture sur les retraites, les formations sont restées sur leur faim. Ce n’est pas l’interview de François Bayrou sur France 2 en soirée qui les a plus rassurés. Il soutient qu’il n’aura pas recours au 49.3, « sauf s’il y a un blocage absolu sur le budget ». Sur les retraites, il « croit » à une autre voie que le report à 64 ans – il rappelle qu’il est pour une retraite par points – mais sans vouloir geler la réforme. Et seul ministre sortant cité : Bruno Retailleau, qu’il souhaite voir rester. Pas le genre de message rassurant pour la gauche.
Au PS, « on reste à nouveau sur notre faim », soutient Patrick Kanner
Côté PS, au lendemain de la réunion transpartis, Patrick Kanner n’en revient toujours pas. « C’était lunaire », lâche ce vendredi le président du groupe PS du Sénat, qui s’étonne encore de la proposition faite aux chefs de partis d’entrer au gouvernement : « Je ne sais pas si c’est une forme de naïveté ou d’auto-conviction, ou un mélange des deux ».
En fin d’après-midi, on attendait encore la réponse des socialistes, qui pourrait passer par une nouvelle lettre au premier ministre. Après une réunion entre responsables socialistes dans la matinée, le numéro 1 du PS, Olivier Faure, s’est envolé dans l’après-midi pour Rabat, pour assister au conseil mondial de l’Internationale socialiste, repoussant les derniers arbitrages.
Dans la matinée, Patrick Kanner résumait cependant le sentiment général au PS : « On reste à nouveau sur notre faim ». « On souhaite encore des pas de sa part. Si tout devait s’arrêter là, je ne vois pas comment on ne vote pas la censure », soutient le sénateur PS, qui n’écarte cependant pas une autre issue, celle de la non-censure : « On est toujours prêts, on n’a pas changé de stratégie. Pour nous, l’accord de non-censure reste l’hypothèse la plus favorable », lance Patrick Kanner, avec dans cette optique « une volonté d’aboutir à un compromis » qui la permettrait.
Mais les signes ne sont pas là, ou paraissent si faibles. Patrick Kanner préfère encore en rire. « Je vais entamer une grève de la faim. Ou je vais m’enchaîner à la porte de Matignon ! Mais il n’y a pas de grille, c’est embêtant », plaisante cet ancien ministre de François Hollande.
« On n’a pas besoin de répondre, j’attends plutôt que le premier ministre nous envoie sa feuille de route », affirme l’écologiste Guillaume Gontard
Les écologistes préfèrent encore sécher. « On est dans l’opposition. Il n’y a pas de sujet là-dessus », rappelle Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat. Et que François Bayrou n’attende pas un retour formel des écolos. « On n’a pas besoin de répondre, car pour nous, c’est déjà clair. J’attends plutôt que le premier ministre nous envoie sa feuille de route ».
Il raille les propos du premier ministre sur le 49.3. « Il est quasiment revenu en arrière sur la toute petite ouverture qu’il avait pu faire hier. Là il dit qu’il ne l’utilise pas s’il n’y a pas de blocage. Mais s’il y a blocage, il se réserve le droit de l’utiliser. Mais c’est le principe… » s’étonne Guillaume Gontard.
« Sur les retraites, c’est la même chose. Il avait un poil poussé la porte, en disant qu’on pourrait remettre le métier sur la table, et se donner du temps pour retravailler la réforme. Mais hier, quand le journaliste lui demande si ça peut aller jusqu’à l’abrogation de la réforme, il dit tout de suite non… » Il ajoute : « C’est toujours la même technique. On ouvre un dossier et on dit déjà où on veut arriver ».
Quant à « l’orientation budgétaire, on n’a aucun bougé », regrette encore Guillaume Gontard, qui « entend ses soutiens, Gabriel Attal et Laurent Wauquiez, qui ne veulent absolument pas bouger sur la justice fiscale, faire participer les plus aisés ». « Et on nous dit qu’on va reprendre le texte du Sénat, continuer comme avant, comme s’il ne s’était rien passé. C’est irresponsable », dénonce le chef de file des sénateurs écologistes. Conclusion de Guillaume Gontard : « François Bayrou construit lui-même sa propre censure, petit à petit, il y va droit devant. Car à un moment, il n’y aura pas d’autres possibilités, s’il ne veut rien entendre ».
« Je trouve ça complètement dingue son histoire de trois cases, on n’est pas dans une cour d’école », lâche la communiste Cécile Cukierman
Chez le communiste, l’ultimatum sous forme de QCM fixé par François Bayrou ne passe pas du tout. « Je trouve ça complètement dingue son histoire de trois cases. Il ne fait pas de proposition et demande aux gens de se positionner. Trois cases, c’est inacceptable, c’est anti démocratique. La vie politique ne se résume pas comme ça. Il y a une vitalité de la vie démocratique, avec ses complexités. Il n’y a pas les gentils, les moyens et les méchants. On n’est pas dans une cour d’école », lâche Cécile Cukierman, présidente du groupe CRCE-K (communiste), qui défend une quatrième voie : « Une opposition constructive, comme nous l’avons toujours été ».
Sur le petit bougé sur les retraites, elle n’y voit « pas grand-chose », mais tout en « saluant la volonté de mettre les partenaires sociaux autour de la table », même si « neuf mois (de réflexion), ça me semble long. On verra la tête de l’enfant au bout de neuf mois ». Illustration pour elle de « la quatrième case. Ce n’est pas notre choix, mais nous prenons tout ce qui peut améliorer la vie des gens, si ça peut aller dans ce sens, dans neuf mois ».
La sénatrice PCF de la Loire s’étonne au passage que François Bayrou ait « des choses à régler entre Modem et Renaissance, ou LR et Horizons. Les forces de gauche ne peuvent pas être spectatrices de ces arbitrages-là ».
Quant à la non-censure, « je ne me ferai pas enfermer dans la question de savoir s’il y a une motion de censure et si nous la votons », prévient Cécile Cukierman, « nous demandons un vote sur son discours de politique générale. Et en fonction, mes collègues députés prendront leur position et assumeront leurs responsabilités. L’opposition, c’est obligeant. Mais gouverner, c’est encore plus obligeant ».