
Les sénateurs ont élevé la souveraineté alimentaire au rang « d’intérêt fondamental de la Nation ». Après 24 heures de débats, parfois houleux et confus, les élus sont venus à bout dans la nuit de mercredi à jeudi du volumineux article 1er du projet de loi d’orientation agricole, un article programmatique qui définit dans ses grandes lignes le cap de la politique agricole française.
Le projet de loi indique notamment que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont « d’intérêt général majeur » en ce qu’elles assurent la souveraineté alimentaire du pays, souveraineté qualifiée « d’intérêt fondamental de la Nation », à l’initiative de la majorité sénatoriale de droite et du centre. Par ailleurs, les élus ont également introduit un « principe de non-régression » de cette souveraineté alimentaire, qu’ils veulent voir figurer dans le livre préliminaire du code rural.
Précisons que ces différentes notions, initialement introduites dans l’article premier du projet de loi, ont finalement été renvoyées à un article additionnel – adopté dans la foulée – à la demande du rapporteur LR Laurent Duplomb. En effet, la densité de l’article introductif, mêlant à la fois des dispositions programmatiques et normatives, a fait craindre à la droite sénatoriale une censure par le Conseil constitutionnel au nom du principe d’intelligibilité de la loi. L’enjeu pour la commission était donc de sécuriser ses apports et de se prémunir de l’éventuel coup de ciseau des Sages de la rue Montpensier.
Mais cette astuce légistique – selon le terme consacré –, consistant à supprimer plusieurs alinéas pour, in fine, les réintroduire un peu plus loin dans le projet de loi, a soulevé l’agacement des élus de gauche, déjà très critiques face aux modifications proposées.
« On est dans un flou… C’est assez compliqué de comprendre »
« Nous n’avons pas tout compris, supprimer des alinéas dans un article pour les remettre plus loin dans un autre article, cela semble plus que particulier et fait tomber un bon paquet d’amendements, ce qui nuit à notre travail de parlementaires. Ma vie de sénateur n’est pas très longue, mais je n’avais encore jamais vu ça… », a épinglé l’écologiste Daniel Salmon en ouverture des débats. « On s’accorde tous pour dire que la discussion est difficile à suivre », a déploré Henri Cabanel (RDSE).
Pendant plusieurs minutes, les rappels au règlement ont fusé du côté des oppositions. « On est dans un flou… C’est assez compliqué de comprendre depuis hier soir. Mais cela est assez révélateur, c’est le flou juridique de cet article premier et des dispositions qu’il contient », a notamment dénoncé Guillaume Gontard, le chef de file des écolos du Sénat.
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Vers une « égalité de traitement » entre l’écologie et l’agriculture
Alors que la veille les débats s’étaient cristallisés sur la définition de la souveraineté alimentaire, la gauche reprochant à la droite de chercher à en faire le levier d’une politique productiviste à rebours des enjeux environnementaux, cette fois c’est le principe de « non-régression » qui a occupé les échanges.
Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture, a estimé que sans véritable assise juridique, la notion risquait de fragiliser le texte de loi. « Une mesure intégrant une réduction de la souveraineté doit-elle s’entendre comme une réduction de la surface utile ? Du nombre d’agriculteurs ? Des rendements ? », a-t-elle interrogé. « Si la notion est séduisante sur le papier, je ne suis pas convaincue à ce stade qu’elle soit suffisamment travaillée et précise d’un point de vue juridique. Ne prenons pas le risque de tenter notre chance sans en avoir mesuré les effets de bord », a-t-elle plaidé.
« Cette rédaction est exactement la même que celle qui est dans le code de l’environnement. Qui peut dire aujourd’hui qu’elle n’a pas d’assise alors qu’en réalité nous avons repris mot pour mot ce qui était écrit ? », a défendu le rapporteur. En effet, les détracteurs de la mesure reprochent à la droite de s’être inspirée du principe de « non-régression » qui figure déjà dans le code de l’environnement pour renvoyer dos à dos la souveraineté agricole et la protection de l’environnement. « Je me demande si, demain, il ne faudrait pas avoir une réflexion objective sur l’égalité de traitement entre ces deux sujets », a d’ailleurs reconnu Laurent Duplomb.
Avec l’article 1er, les sénateurs ont également adopté les « conférences de la souveraineté alimentaire » proposées par la ministre. À partir de 2026, chaque filière aura la possibilité de se fixer de manière autonome des objectifs de production sur dix ans. À mi-parcours, le gouvernement pourra apporter des mesures correctrices selon les résultats obtenus.